"Je suis arrivé d’Ukraine en 2014, c’était le début de la guerre avec la Russie. On habitait au CADA Emmaüs avec ma femme, j’ai demandé l’asile en France mais ça m’a été refusé. » Durant l’examen de sa demande d’asile, Vladimir est hébergé avec sa famille au Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) de Bussières-et-Pruns, dans le Puy de Dôme. Il est finalement débouté de sa demande d’asile et est forcé de quitter le CADA au risque de se retrouver avec sa famille sans logement et sans possibilité de travailler. L’association lui a finalement proposé un logement solidaire.
"Au CADA, on accueille des familles de demandeurs d’asile politique comme Vladimir pendant l’instruction de leur dossier par l’administration française. Au-delà de l’hébergement, c’est là que commence une véritable insertion (scolarisation, activité professionnelle…)" précise Fatima Parret, directrice de l’association Emmaüs Bussières-et-Pruns qui gère le CADA. Malheureusement, près des deux tiers des demandeurs se voient refuser l’asile et la loi nous oblige à leur faire quitter le CADA. Elles ne peuvent pas forcément rentrer dans leur pays, ni être régularisées. Elles sont dites "déboutées du droit d’asile". Elles se retrouvent en grande précarité, à la rue ou en hébergement d’urgence, souvent en chambres d’hôtel, avec des prises en charges courtes, aléatoires. Ces familles ne sont pas prioritaires, même quand elles ont des enfants.
"C’est pour trouver des solutions pour ces déboutés qu’on a créé les logements solidaires. Le projet de départ pour l’association, ça a été de se dire : « on ne peut pas laisser les gens qu’on a reçu ici dormir dehors. Quand on a un petit espoir de régularisation, on leur propose de vivre dans les appartements. Ils sont bénévoles dans des associations, compagnon dans la communauté Emmaüs de Puy-Guillaume. Ils peuvent avoir un semblant de vie stable. C’est une solution transitoire pour aller vers l’insertion et cela fait des sorties beaucoup moins violentes." témoigne Fatima Parret. C’est là qu’est arrivée l’idée de créer ces logements solidaires pour donner aux personnes déboutées la possibilité de vivre dignement pendant 2, 3 ou 4 ans et de mener sereinement les démarches de recours pour régulariser leur situation. Mais acheter des biens, c’est impossible pour l’association. "On ne pouvait pas acheter nous-même. On n’a pas cette trésorerie-là. Ce n’est pas notre vocation. On ne voulait pas louer dans le parc privé. On voulait être libres de faire ce qu’on voulait et aussi pouvoir racheter le bien à un moment donné. En demandant à Solifap d’acheter les biens et de nous confier la gestion on a minimisé les risques et le loyer." précise Fatima Parret. C’est ainsi que l’achat de deux maisons, à Maringues et à Thiers, a été un des premiers projets soutenus par Solifap à sa création. L’aspect collectif du projet ne s’arrête pas là puisque la Communauté Emmaüs de Puy Guillaume propose également aux locataires de travailler à la communauté comme compagnon et une soixantaine de donateurs se partagent mensuellement le montant du loyer et des charges selon le modèle du 100 pour 1 : si 100 personnes s’engagent à donner 5 € par mois pendant au moins une année, l’association peut héberger une famille …
La maison située à Thiers (63) appartenant à Solifap dans laquelle Vladimir et sa famille ont passé 4 ans.
"L’exemple de Vladimir est intéressant. Il a habité 4 ans à Thiers, dans notre logement, à sa sortie du CADA. Ça qui lui a permis de signer un CDI, d’avoir sa carte de séjour de 10 ans et même d’acheter un appartement où il vit maintenant avec sa femme et ses 3 enfants." raconte Fatima Parret. "Quand j’ai signé mon CDI dans la plasturgie à côté de Thiers, j’ai demandé un prêt parce que je trouvais que les loyers étaient trop chers. Je l’ai eu et j’ai acheté un appartement. Le week-end, je fais les travaux. J’ai déjà fini la peinture. Je suis parti vite pour laisser la place à la nouvelle famille." précise Vladimir.
Une photo reçue par Fatima Parret après le départ de la famille de Vladimir dans le logement dont ils sont devenus propriétaires : le selfie d’une visite au château de Murol (63).
5 familles ont jusque-là bénéficié de ces logements solidaires de Thiers et de Maringues. 6 mois, un an, 4 ans, la durée de leur présence est aussi liée à la précarité de leur vie.
Si les logements et l’accompagnement permettent un certain confort, les familles restent sous la menace des contrôles policiers et des expulsions. Catherine habite Maringues. En 2015, elle a eu envie de s’engager auprès des sans-papiers. Elle toque à la porte du CADA. "Je suis allé à une réunion. On a dit : il y a une famille qui va venir habiter au logement de Maringues. Ils ont besoin d’aide pour connaître la vie locale. C’est comme ça que j’ai commencé à accompagner la scolarité des enfants en aidant sur le plan administratif. J’ai accompagné avec les instits. Je donne des cours de français à la maman. Je les aide pour les différents dossiers de demande d’asile. La famille a noué des relations amicales par le biais de l’école. Ils sont très bien intégrés. La maman accompagne les sorties scolaires. Ils ont de bonnes relations de voisinage. Le papa faisait du foot dans l’association de Maringues. Malgré tout, il y a toujours la peur que les gendarmes viennent. Très peu de gens savent que le logement est au CADA mais beaucoup de gens qu’ils côtoient qui ont compris qu’ils étaient sans papiers. Les gens du foot ont apporté les témoignages pour leur dossier à la préfecture."
"L’enjeu de ce projet, c’est vraiment l’insertion ! A Maringues, on a rencontré la mairie, l’école, un réseau de bénévoles en lien avec les familles. On n’a finalement jamais eu à s’en occuper. Des élus de la mairie ont pris en charge les gens, les enfants vont à l’école…" raconte Fatima Parret. Vladimir aussi participe à l’accompagnement de la famille qui l’a remplacé. "Je vais souvent voir la nouvelle famille qui s’est installée dans mon ancien logement pour les aider. J’avais installé internet et je leur ai laissé. C’est moi qui paye. Ça me fait plaisir, j’ai été beaucoup aidé et j’aime bien aider les autres. Ce logement, ça m’a sauvé la vie."
La chambre d'enfant de la maison de Thiers.
Remplacer les ruptures multiples liées au parcours de migration par des liens solidaires durables, avec l’association, les habitants du territoire, le voisinage, les anciens locataires, c’est le projet de ces logements solidaires de l’association Emmaüs Bussières-et-Pruns. C’est la mise en pratique du projet défendu par la Fondation Abbé Pierre, en partie au travers de Solifap : mettre en œuvre la logique du « Logement d’Abord » qui considère que l’accès à logement stable pour rompre le cycle des ruptures entraînées par les dispositifs d’hébergement est la condition principale à l’insertion sociale. Et juste avant de raccrocher, à la fin de l’entretien, Vladimir dit : "moi aussi je travaille pour la Fondation Abbé Pierre, je donne 10€ tous les mois." L’insertion, en action…
Solifap a acheté deux logements dans le Puy-de-Dôme pour l’association Emmaüs Bussières-et-Pruns :
Ils sont gérés par l’association pour une durée minimale de 5 et 10 ans. La convention prévoit que l’association peut devenir propriétaire des biens quand elle le souhaite.
C’est une association qui fait partie du mouvement Emmaüs. Elle a été créée pour gérer l’ancien couvent de Bussières-et-Pruns donné par les sœurs franciscaines à la Fondation Abbé Pierre. Jusqu’en 2001, il y avait des compagnons. Elle est née en 1997, au départ avec plusieurs projets, dont un projet de chantier d’insertion pour faire du maraîchage bio, ici à Bussières-et-Pruns. Il y a eu ensuite un accueil pour des personnes sans domicile, ensuite des familles de demandeurs d’asile qui se sont installées là. C’est leur présence qui a amené le CADA. 30 ou 35 places au début. En 2003, le couvent devient un AUDA. Il est devenu CADA en 2004. Il y a aujourd’hui 100 résidents : 50 dans le site même à Bussières-et-Pruns et 50 qui vivent dans des appartements à Riom, à Mozac, à Ménétrol…
Le CADA accueille des gens qui ont demandé l’asile. Pendant le temps de l’instruction de leur dossier, ils ont le droit à des moyens de subsistance, notamment un hébergement comme ici dans un CADA. Ils sont accompagnés par des professionnels qui font l’accompagnement social, santé et également dans les démarches.
L’association a développé aussi des actions de développement territorial : un chantier d’insertion ACI avec un vestiaire (dans l’ancienne chapelle de de Bussières ) et une boutique à Aigueperse, un centre de loisirs dans les locaux du CADA : une quarantaine d’enfants de la commune ou des communes environnantes, il y a une épicerie solidaire ouverte à toutes les familles envoyées par les assistantes sociales… Il y a beaucoup d’activités avec les résidents, et des actions ouvertes à tous, des concerts, des veillées de pays, la Fête de la Solidarité.