"Préparer le retour à la liberté"

Dans environ 6 mois, la ferme Emmaüs Maisoncelle accueillera ses premiers résidents. Ils seront d’abord 8, puis 12, uniquement des hommes. Leur première mission sera de préparer les 2 hectares de terre qui entourent la ferme au maraîchage agroécologique, installer les locaux pour le conditionnement et le stockage des légumes cultivés sur place puis vendus en circuits courts. Puis, ils commenceront à semer des graines de légumes mais pas seulement des graines aussi pour leur avenir, dehors.

Ces huit puis douze hommes, qui vivront et travailleront à Maisoncelle pendant 6 à 18 mois, seront en « placement à l’extérieur ». Détenus en fin de peine, ils vivront dans cette ferme avec un objectif : construire leur projet de liberté après la prison.

« La ferme de l’Air Libre (du nom de l’association qui porte le projet), c’est une ferme agroécologique d’insertion pour des personnes qui ont vécu une longue période de détention. L’objectif de ce lieu, c’est de préparer le retour à la liberté de personnes issues de la détention en les aidant retrouver des repères. Ce sont des personnes qui ont purgé leur peine. Elles vont revenir dans la société. Nous, on souhaite les accompagner » résume Bruno Vautherin, le directeur de l’association gestionnaire.

La ferme de l’Air Libre est donc à la fois un atelier chantier d’insertion agréé par la DDETS de la Vienne et un lieu de placement extérieur conventionné avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de la Vienne. Ce modèle est né à Moyembrie dans l’Aisne, puis a essaimé à Baudonne dans les Landes dans une version dédiée aux femmes dont la sortie de prison est souvent plus difficile encore que pour les hommes, puis à Lespinassière dans l’Aude et enfin à Lusignan, dans la Vienne.

Ingénieur aéronautique de formation, travaillant en compagnie aérienne, Bruno Vautherin, le créateur de ce projet, 35 ans, a rapidement « bifurqué en quête de sens ». Après une année au Cambodge, comme volontaire, il rejoint début 2015, les Ateliers du bocage, entreprise d’insertion du mouvement Emmaüs, à Poitiers. « C’est une assez grosse PME, une belle coopérative… C’était une très belle expérience. J’ai pu découvrir le mouvement Emmaüs. C’est comme ça que j’ai découvert la ferme de Moyembrie, ferme agroécologique d’insertion. J’ai eu envie de me lancer dans l’aventure pour créer un projet ici dans la Vienne. Je suis parti des Ateliers du bocage début 2020 pour approfondir l’idée. »

 De haut en bas, Bruno Vautherin, directeur de l'association et fondateur du projet, Antoine Leblanc, maraîcher et encadrant technique et Mélanie Forestier, accompagnatrice socio-professionnelle qui aidera les détenus dans leur projet de réinsertion. 

« Le maraîchage, c’est un prétexte pour retrouver les repères professionnels de base »

La vocation de ce lieu est bien de favoriser la sortie de prison en levant les freins les uns après les autres. Dans ce lieu hybride, à la fois lieu de vie et de travail mais aussi lieu de projection vers l’avenir, chacun va pouvoir préparer sa sortie. « Ce sont des personnes assez souvent désocialisées. Elles l’étaient déjà avant leur période de détention et c’est en plus des choses qui s’aggravent en prison. » précise Bruno Vautherin. Pour créer des liens et agir collectivement, les habitants vivront dans la ferme, chacun dans une chambre individuelle. Les repas seront partagés en commun tous les midis et la gestion de la maison répartie entre tous. Le soir, chacun fera ce qu’il veut, en fonction de ses envies et de là où il en est.

La ferme est aussi un lieu de travail et l’objectif est de permettre à chaque salarié de « retrouver les repères professionnels de base : respecter des consignes, arriver à l’heure, prendre des initiatives. Les personnes qui vont venir travailler avec nous sont très loin de l’emploi, les 6, 12, 18 mois ne suffiront sûrement pas. »

Bruno Vautherin ajoute « On va essayer de trouver des passerelles pour qu’elles puissent poursuivre leur démarche d’insertion dans un atelier d’insertion, dans le logement accompagné. » Loïc Naël, le directeur du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de la Vienne, partenaire du projet, ajoute que « L’important c’est d’avoir un tremplin. Pour les détenus, l’objectif d’aller à Maisoncelle, c’est pas forcément parce qu’ils ont un projet professionnel dans le maraîchage mais plutôt une envie d’aller de l’avant, de participer à une vie collective. Et l’accompagnement qui leur sera proposé peut aboutir à des projets très divers. Cela dit, il y a des centres de détention dans lesquels on propose une formation à l’agriculture biologique, comme à Bedenac en Charente-Maritime. Le projet peut intéresser certains détenus intéressés par le maraîchage. » Bruno Vautherin renchérit : « L’atelier maraichage est un support. On n’a pas vocation à former des maraichers. Bien sûr, s’il y a des vocations agricoles parmi les détenus, on est à 1km d’un campus dédié à l’agriculture. »

La ferme est constituée de plusieurs bâtiments permettant de bien séparer l'activité agricole des logements et espaces de vie. 

La ferme est conventionnée avec la Direction départementale de l'Emploi, du Travail et des Solidarités de la Vienne, comme un ateliers chantiers d’insertion. Chaque salarié en insertion signe un contrat de travail de 26h par semaine. Le reste de la semaine est consacré « à l’accompagnement social qui permet d’accompagner l’expérience et de préparer la liberté ». Mélanie Forestier, travailleuse sociale et salariée de l’association accompagnera les détenus dans leurs démarches pour accéder à leurs droits à des papiers, au logement, aux soins, à la santé ou à l’emploi…  Des partenaires locaux spécialisés seront également mobilisés, « par exemple, on a identifié un partenaire sur la question des addictions, dont souffrent malheureusement beaucoup de détenus… » précise Bruno.

Les habitants seront également accompagnés en tant que détenus en fin de peine par les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation dont la mission est d’accompagner l’insertion sociale des détenus et prévenir la récidive. « On va installer une permanence directement à la ferme avec un conseiller qui viendra une fois par semaine pour rencontrer les détenus et échanger sur leur vie à Maisoncelle et leur projet de sortie. » indique Loïc Naël, le directeur départemental de ce service. « On n’a pas l’habitude de faire ça, mais là on le fait parce qu’on veut accompagner le démarrage du projet. J’y tiens particulièrement, c’est un dispositif que je suis depuis 2-3 ans. J’aide Bruno à avancer parce que je pense que c’est un projet qui tient la route. C’est difficile à mesurer mais on le sait : le taux de retour en détention va baisser pour les anciens détenus qui auront passé du temps à Maisoncelle. » indique Loïc Naël, le directeur du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation de la Vienne.

Les détenus arrivent à la ferme après un processus de recrutement sélectif. « En gros, on a 5 à 600 personnes qui sortent de Vivonne (le centre de détention le plus proche de Lusignan) chaque année et ce type de placement, cela va en concerner maximum 2 sur 10. » précise Loïc Naël. « Aujourd’hui, il manque des places, des projets comme Maisoncelle. Si on les avait, on pourrait orienter 4 détenus sur 10 plutôt. »

Les détenus qui vont venir vivre à la ferme doivent d’abord répondre à un certain nombre de critères lié à leur profil et à leur condamnation puis ils candidatent par courrier ou sont proposés par un conseiller. Ensuite, « on vient la voir pour faire comme un entretien de recrutement. Si on voit que c’est bon, on propose une immersion de 24h pour que le candidat puisse vérifier que c’est bien ce qu’il veut bien ça, le confronter à une réalité qui est très différente de la vie en prison. Si c’est bon, on valide et on fait les démarches pour proposer le projet au juge d’application des peines qui autorise ensuite la mesure » raconte Bruno Vautherin.  

La ferme est entourée de terres agricoles. Elle se situe à 30 minutes de Poitiers dans le département de la Vienne. 

« Le challenge maintenant c’est d’embarquer les gens du coin »

La création de la Ferme Emmaüs Maisoncelle vient d’une démarche individuelle de Bruno au démarrage du projet. Il a depuis créé une association. « Il y a maintenant 30 adhérents, des personnes qui suivent le projet, qui donnent des coups de main. C’est des gens du territoire, de la région de Poitiers. Certains ont des liens avec le milieu carcéral. Ils viennent à titre individuel, en dehors du boulot.  Le challenge maintenant c’est d’embarquer des gens du coin.  Il y aura un besoin sur l’accompagnement à la mobilité : pour les rendez-vous médicaux, certains résidents doivent être accompagnés. On cherche des chauffeurs/accompagnateurs bénévoles. »

L’équipe salariée, constituée aujourd’hui de 3 salariés, dont Bruno qui en est le directeur, a lancé un appel à bénévolat. Au-delà des chauffeurs, l’association cherchent des personnes disponibles pour faire des petits travaux, du jardinage, mais aussi pour faire de la saisie comptable, réfléchir à la communication ou même faire la cuisine lors du séminaire qui réunira les équipes des fermes Emmaüs. « On essaiera aussi d’avoir des bénévoles qui pourront organiser des activités (sortie cinéma, balades en forêt, de la vie en dehors du temps de travail, en particulier les week-ends). » A terme, le projet devrait employer 5 personnes, sans compter les 12 salariés en insertion.

Dès le début, le projet est soutenu par la communauté urbaine du Grand Poitiers. Lusignan est à 30 kilomètres du centre-ville de la cité poitevine. « Ils sont très intéressés par la question de la production alimentaire locale et bio. » précise Bruno Vautherin. « A Lusignan, on a pu rencontrer l’équipe municipale en mars 2021. La réception a été plutôt bonne. Ça se passe très bien. Ils sont facilitants. Ils nous soutiennent, ils font le lien avec les associations. C’est super positif.  C’est aussi parce qu’on va contribuer à la dynamique du territoire en tant qu’employeur. Le côté Emmaüs, le côté solidarité, la participation citoyenne, donner des coups de main, c’est plutôt des choses qui sont attendues. »

Le lieu a vocation à être ouvert aux habitants de Lusignan et des alentours. « On va vendre sur place. On aimerait créer un espace de vente directe, en circuit court. Potentiellement, on peut participer aussi à des marchés, proposer de la petite restauration collective. » précise Bruno Vautherin.

L’équipe salariée arrive maintenant petit à petit et, avec les bénévoles et les partenaires, elle travaille d’arrachepied pour préparer l’arrivée des premiers détenus. La ferme commencera ensuite à se développer et l’avenir de chacun à se construire.

En savoir plus sur le projet

Solifap a acheté le foncier pour 664 000€ et a signé un bail de 20 ans avec l’association. Des travaux d’aménagement et des achats de matériels, notamment agricoles, sont prévus pour 500 000€. L’association a déjà récolté la moitié de la somme. 

En savoir plus sur la Ferme Emmaüs Maisoncelle




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